Alors que le climat politique s’était relativement apaisé en Côte d’Ivoire depuis la multiplication des gestes d’apaisement et la reprise du dialogue politique mi-décembre 2021, des bruits de bottes se font de nouveau entendre. La publication d’un nouveau rapport d’enquête sur les crimes commis lors de la présidentielle d’octobre 2020 risque en effet de raviver les tensions dans le paysage politique de ce pays côtier d’Afrique de l’Ouest. Ce document met en cause de principaux leaders de l’opposition.
Un an après les violences qui ont précédé et suivi la présidentielle ivoirienne d’octobre 2020, l’Unité spéciale chargée d’enquêter sur les violences liées à ces élections a livré son rapport, le 27 décembre 2021. Dans ce document d’une soixantaine de pages, cette structure composée de 40 policiers et gendarmes placés sous la houlette du procureur d’Abidjan, incriminent plusieurs membres de l’opposition, au premier rang desquels, l’ex-président Henri Konan Bédié.
Évènements « planifiés et financés »
Lors des élections présidentielles ivoiriennes d’octobre 2020, des principaux partis de l’opposition et des citoyens ordinaires avaient manifesté publiquement leur contestation, en réaction au troisième mandat d’Alassane Ouattara, actuel chef d’État, ainsi que par rapport à la révision de la liste électorale qu’ils estimaient « opaque et non inclusive ». Au cours de ces manifestations, des violences politico-ethniques ont été perpétrées. Des violences dont le bilan a été estimé à 85 morts et 500 blessés, entre août et novembre 2020.
Dans un rapport, le 2 décembre 2020, Human Rights Watch avait indiqué la mort de plus de 50 personnes «lors des violences politiques et intercommunautaires qui ont accompagné l’élection présidentielle du 31 octobre 2020». Cette organisation exhortait les autorités ivoiriennes d’enquêter, en toute urgence, sur ces «meurtres» et à «veiller à ce que toutes les personnes responsables des meurtres illégaux soient traduites en justice».
Le document de l’unité spéciale ivoirienne évoque surtout une instrumentalisation de la jeunesse « par les leaders politiques », et plus particulièrement par Henri Konan Bédié, afin de faire « échec à la tenue de l’élection et accentuer le climat de terreur ». Selon les précisions de ce rapport, « les évènements survenus à l’occasion de l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 ont été planifiés et financés essentiellement par des acteurs politiques et de la société ».
Henri Konan Bédié n’est nullement le seul cité nommément dans ce rapport accablant. Les enquêteurs reprochent également au « Sphinx de Daoukro » d’avoir menacé la sécurité du pays en appelant au boycott du scrutin présidentiel, puis en annonçant la création d’un Conseil national de transition (CNT), aux côtés du candidat du Front populaire ivoirien (FPI), Pascal Affi N’Guessan.
Un an après ces troubles qui ont émaillé l’élection présidentielle de 2020, un rapport d’enquête accuse les membres de l’opposition d’être responsables de ces heurts. Et le procureur d’Abidjan, Richard Adou, menace de poursuites contre « toutes les personnes qui ont de près ou de loin participé » à ces violences de 2020. Une sortie que des observateurs de la scène politique ivoirienne qualifient d’inopportune et de provocatrice. Une intervention qui tend à saborder le processus du dialogue initié entre le pouvoir et l’opposition.
La stabilité à tout prix
À travers un communiqué, le 29 décembre dernier, le clan de l’ex-président Henri Konan Bédié dément ces allégations et renvoie les responsabilités au camp du régime Ouattara.« Le troisième mandat et ses supporters sont les auteurs directs et indirects de la désobéissance civile, des exactions et violences qui ont suivi en octobre 2020 », a affirmé HKB, deux jours après la publication du rapport.
Cette situation ivoirienne est une épine qui mérite une attention particulière. Car mal traitée, elle peut compromettre le peu de quiétude qui règne encore dans cette partie du continent africain.
Est-il besoin de rappeler que la Côte d’Ivoire est fragilisée depuis septembre 2002 ? Une situation qui s’est aggravée à travers la crise postélectorale de novembre 2010. Il importe, dès lors, de trouver les ressources nécessaires pour opérer la transition vers une culture de la paix, à travers la réconciliation nationale.
Les autorités ivoiriennes doivent donc trouver d’autres alternatives pour traiter ces dossiers incriminant des membres de l’opposition politique et de la société civile. Car toute poursuite de ces personnalités, en cette période charnière de la vie du pays, portera non seulement un coup dur à la réussite du processus du dialogue politique et pourrait déboucher sur une nouvelle période d’instabilité dans ce pays longtemps considéré comme un havre de paix en Afrique de l’Ouest.
Bakary Fomba
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